J'habite un vieux quartier de Bordeaux, rue pavée, portes
façon moyen-âge, bref. Il y a une grille et une petite cours
(pavée). Plus de vis-à-vis que de soleil mais ça va, j'aime
bien mon appart. Ce que je veux dire (et qui n'a rien à voir)
c'est qu'il y a beaucoup de chats dans le coin. Quand je suis
arrivé il y en avait un, roux et blanc, que j'appelais Clarence
parce qu'il louchait. Et puis il a disparu, peut être qu'il
était à quelqu'un finalement. Il y a quelques temps, j'ai
cru qu'il était revenu parce que je voyais un chat sur le bord
d'une fenêtre, couché. Sauf que celui là voyait la mort bien
en face (j'anticipe sur la fin mais c'est pour la formule
dramatique). Quelqu'un avait acheté une boite de croquettes
pour le nourrir (lui ou un autre), mais je n'étais pas celui qui
distribuait. Parce que quand Julie sortait, j'aimais pas que
quelqu'un d'autre que moi lui donne à manger, et parce qu'un
chat dans la rue n'est pas forcément abandonné. Si ? La
dessus, j'ai rencontré Vincent. Je mets pas sa photo parce que
pour le moment, c'est juste un plan régulier, je suis pas sûr
qu'il veuille plus. Bref. La première fois qu'il vient, c'était
le 18 juin 2005, en pleine chaleur, il me dit : "il y a un
chat en bas qui meurt de soif, t'as pas un bol ?". Bien sûr
que j'ai un bol. Me voilà en train de donner à boire et à
manger au chat, même après que Vincent soit parti. Assez vite,
je m'aperçois qu'il est blessé à la patte avant droite et
qu'il peut à peine s'en servir. Il n'était pas couché sur la
fenêtre parce que c'est confortable, c'était un abri et il ne
pouvait plus en bouger. Sauf que quelqu'un habite derrière
cette fenêtre qui n'apprécie pas la présence du chat. Je
trouve souvent les coquettes renversées (peut-être par le chat
maladroit) et une fois le bol d'eau par terre, en face. Ça c'est
pas le chat. L'affaire dure quelques jours, le chat reconnait mon
pas, puis finalement descend (volontairement ou non) pour se
cacher sous une poutre, dans la cours. Ce samedi 25, orage.
Eclair sur éclair, grosse pluie. Un orage quoi. Je m'inquiète
un peu pour le chat mais je sais qu'il est descendu, à l'abri
sous sa poutre. Avec le recul, je me dis qu'il aurait été mieux
sur la fenêtre mais bon. Au matin, plus de chat. Il me semble
l'entendre, loin, mais je ne le vois pas. Je récupère mon
bol. Mercredi 29, en rentrant du boulot, avant même de mettre
la clef dans la serrure de la grille, j'entends le chat appeler,
de ses cris affamés que je connaissais bien. Et je le vois
sortir de sous une des portes en bois, bonjour le chat. Une femme
arrive avec des valises qui font du bruit sur les pavés, le chat
retourne derrière sa porte beaucoup plus facilement qu'il en
était sorti. Comme quoi on devrait tout faire sous l'emprise de
la panique. En tout cas, j'étais décidé. Je suis parti
acheter une litière neuve (j'avais jeté celle de Julie, quinze
ans), des cailloux pour mettre dedans et de la nourriture (pour
mettre dedans aussi, quand j'y pense, mais pas directement). Au
retour, je force mon pas pour qu'il m'entende et se manifeste à
nouveau. Evidemment ça marche pas. Alors j'appelle. Et je
l'entends répondre, d'abord de loin puis de derrière la porte.
Je l'encourage à sortir (sans le toucher pour pas lui faire
peur, ni mal) et ce sont de nouvelles retrouvailles. Je pourrais
parler d'un couple avec valises pour le suspense (en plus c'est
vrai) mais je sais pas quoi en dire. En tout cas, me voilà
avec le chat ronronnant dans les bras. Un peu effrayé à
l'entrée de l'appart, mais une fois trouvés la planque derrière
le canapé, le chemin vers les croquettes et la litière (propre
dès le premier soir, ouf) tout va bien. Après vérification,
le chat, que je me voyais appeler Hector, est une femelle. Alice
? Trop délicat pour une fille de rue. Ce sera Doro.
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