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Julie

Juillet 1991

Mai 1990, après quelques mois à se tourner autour, ma relation avec Jean-Christophe devient une vraie relation. Jean-Christophe connaissait Aline. Au moment de me la faire rencontrer, Jean-Christophe me dit "elle a quelque chose qui devrait te plaire". Aline avait une portée de chats. Au cours de la soirée j'ai dit "je peux en garder un ?" Aline a dit "si tu veux". Ça avait commencé comme une plaisanterie (j'avais jamais pensé avoir un chat) mais j'ai quand même dit d'accord. Quelques semaines plus tard, après qu'elle soit sevrée, Julie était à la maison.

Juillet 1991. Fred. Mariage raté, trop jeune. Il a un ami pompier et photographe. Nous voilà dans la campagne, la minette attachée à une corde, affolée. Elle me déchire la chemise.

Paul avait ses défauts, on s'est séparé parce que ça marchait pas. Mais je l'aimais et je le trouve beau, encore aujourd'hui. C'est son menton sur la photo. Il a peut-être (sûrement) abusé de mes faiblesses et de mon incapacité à dire non mais... quoi dire. J'étais en colère, pas haineux. J'ai jamais eu besoin (ou envie) qu'on m'en dise du mal. J'aurais bien du mal à juger ses rapports avec la minette. Pas toujours très bon, si je l'ai bien comprise (comment interpréter le fait qu'elle refuse d'entrer dans la chambre, quitte à m'appeler depuis la porte, alors qu'elle avait l'habitude de dormir avec moi ?). Mais il a sa place ici parce que c'est le seul gars que je regrette (un peu) sur Bordeaux. Sans compter les amis.

Cyril a pris la deuxième photo, depuis le lit, avec son téléphone, d'où la qualité merdique. C'était le 2 avril 2004. Cyril était gentil, bien qu'un peu trop présent à mon goût. J'ai besoin de ma tranquilité et d'un peu de solitude. Et puis j'étais pas amoureux, il le savait. Il a eu du mal à l'accepter. Il a fait ce qu'on pourrait attendre d'un bon mari mais il en fallait plus pour me séduire. Au bout de quatre mois, le 18 avril, j'ai dit stop. A quoi bon continuer sans amour. Sa présence me dérangeait et il faisait semblant de rien voir, il me faisait des scènes parce que je lui parlais pas. Je suis silencieux. Rien ne m'ennuie plus que les gens qui parlent pour remplir le vide. Par du vide. Bref. Rien de précis à lui reprocher. Sauf le manque d'amour.
Lundi 19 avril 2004. En rentrant, il y avait une odeur forte dans l'immeuble. Je me suis dit "ça sent comme le poppers". Ça sentait pareil dans l'appart, j'ai pas fait gaffe. La minette n'était pas derrière la porte à réclamer à manger. Je me suis dit "ça lui arrive", j'ai pas fait gaffe. Je me suis mis devant La Ferme. Je suis de ceux à qui Sebastien Moura et Pascal Olmeta font de l'effet. Et Vincent MacDoom est mon idole. Plus ou moins. Bref. Au bout d'un moment quand même, je réalise que la minette est toujours pas venue me rejoindre et ça m'étonne. Je me lève pour la chercher là où elle a l'habitude de se cacher. Pas sous le duvet du lit. Pas dans le placard. Je l'ai trouvée à côté du canapé où j'étais assis. J'ai éteint la télé. J'ai écarté les pots de fleur autour d'elle, j'ai posé la main sur son ventre si doux. Elle aurait pu dormir. Couchée sur le côté droit, les pattes raides, les yeux ouverts, la bouche et le nez dégoulinants de sang. Les yeux ouverts. Des éclaboussures de sang sur la boule anti-moustique qui traine là. Elle a dû tousser une fois à terre. De la bave sur les pattes avant. La tête dans une petite flaque de sang. La bouche un petit peu ouverte, je voyais le bout de sa langue, bleue.
Cyril avait les clefs.

Je l'ai enterrée chez mon père, dans le pré derrière la maison. Il y a quelques fleurs, un petit ruisseau, une forêt de l'autre côté.

Ce lundi 3 mai, en rentrant, je trouve le compteur de l'appart disjoncté. Je le heu... rejoncte et allume le mac. Pas de zzing de démarrage, le disque tourne, l'écran ne s'allume pas, la lumière verte oui.
Cyril avait les clefs.

Mardi soir, j'ouvre l'arrière du mac, un fil noir est libre. La carte fille (c'est comme ça qu'on m'a dit que ça s'appelle) était déconnectée, la carte mémoire aussi. On n'a pas trouvé à quoi sert le fil noir. J'appelle Cyril et lui réclame les clefs. On se voit Jeudi.

Mercredi soir, je cours au supermarché acheter une serrure. Je l'installe en arrivant.

Jeudi soir, l'affaire se règle vite. Tant mieux.
Au moment de me doucher, je me rends compte que le cumulus a été éteint, j'ai pas d'eau chaude. J'ai bien fait de changer la serrure.
Cyril avait les clefs.

Depuis :
Je rêve de chats.
Il m'arrive de me coucher sur le canapé, l'après midi, devant la télé, de couper le son pour dormir. Avant, elle me rejoignait et dormait contre moi, couchée sur mon bras. Après, j'ai rêvé qu'un chat roux et blanc montait sur le canapé avec moi pendant que je faisais ma sieste (je rêvais que je dormais) et venait contre moi. Je sentais son poids sur le canapé, la douceur de ses pas s'approchant de mon visage pour s'installer contre mon épaule.

Plus tard, j'ai rêvé d'elle, assise dans le couloir. Qui me regardais, m'attendais, je sais pas. Il faisait jour.

Je me souviens de ces deux là. Je sais qu'il y en a eu d'autres.